dimanche 11 avril 2010

El sueño de la razón produce monstruos


La sensation du vide est la plus déplaisante. Elle induit la possibilité d'une chute sans fin, elle prévient de son imminence par une forme de haut-le-coeur qui vous laisse ce dernier battant la chamade. Plus qu'un vertige, c'est une impression de perte de soi qui prend le dessus et fait surgir sueurs froides et angoisses. J'ai toujours détesté dormir dans des lits qui n'avaient ni contact avec le mur ni meuble mitoyen pouvant pallier cette absence insupportable de garde-fou. Par quelle étrange le motivation un corps en équilibre précaire est-il irrésistiblement attiré par le vide et quelle obscure raison lui fait ressentir les quelques centimètres qui le séparent du sol en gouffre sans fond. Combien de réveil urgents et haletants, la nausée au bord des lèvres, au sortir d'un rétablissement de dernière minute avant la chute? Dormir n'est pas toujours un abandon à la sérénité et à l'oubli, le sommeil ouvre les portes des champs Phlégréens, des portes de l'Enfer de Virgile.Dans ses vapeurs toxiques, on perd le sens des choses, la réalité se fond et se confond, et l'on s'interroge à postériori sur la véracité de mots échangés, sur la collusion entre le vécu et l'imaginé. Ai-je eu cette conversation-là, ai-je visité ce lieu-ci, ai-je pris ces décisions de façon irrévocable?

Cette chute dans le vide est souvent le moyen que trouve notre corps de nous sortir de rêves aux méandres qui se complexifient, et dont nous peinons à trouver le dénouement. Libéré des contraintes sociétales et des inhibitions du quotidien, notre esprit prend ses aises, compose sa propre bande originale, réalise des castings improbables, nous balance in media res dans des schémas actanciels inimaginés et irréalisables. Comme pour tester notre capacité à réagir et à agir dans le cadre de ces mini-crises que nous évitons soigneusement en journée.

Cela explique que certains réveils soient plus épuisants que les journées qui les ont précédés.
Et cela confime mon regret de toujours : que l'on ne puisse induire la nature des rêves à venir en s'abandonnant au plaisir des pages.

Combien de fois n'eussé-je pas préféré passer la nuit dans les troubles bas-fonds londoniens explorés par certains auteurs, plutôt que de revivre une journée blanche de bureau - aux accent si véridiques que je peine à émerger de l'abri de ma couette au matin, tellement persuadée d'avoir d'ores et déjà vécu la journée qui m'attend - , combien de promenades crépusculaires dans les jardins de l'Alcazar, combien de chevauchées matinales dans la brume des marécages, d'après-midi de visite chez la duchesse de Guermantes n'eussé-je pas échangé contre mes chutes répétées, mes réveils hagards, mes angoisses encore vives et qui me collent les cheveux aux tempes et à la nuque?

Pas de monstres dans les placards ou sous le lit donc, juste des occasions manquées, des pas qui trébuchent, des basculements qui préemptent une chute que l'on retient sur le fil et qui ont le goût amer de la survie.

Goya avait raison "el sueño de la razón produce monstruos"

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