samedi 29 novembre 2008

Le tango interminable des perceurs de coffres-forts

La chanson populaire, la chanson réaliste, la chanson française telle qu'on la pratiquait dans certains cabarets à la haute époque germanopratine est devenue une pièce de musée. Pire, l'apprécier est devenu signe de mauvais goût aux yeux d'ayatollahs qui ne jurent que par les règles d'un solfège complexe (et il s'agit là d'une litote). Comment connaître ou se remémorer pourtant les grandes heures d'une poésie aujourd'hui en désuétude, déformée, contrainte, soldée aux règles de la déconstruction et du ver blanc, orpheline de rimes, pétries de sens accouchés aux divans des psychanalystes qui ont pignon sur rue? Est ce ainsi que les hommes vivent? Le Rainer Maria Rilke que l'on chantait sans pour autant le citer n'évoque plus d'échos. Il n'aurait fallu qu'un moment de plus, mais la poésie simple des mots qui chantent n'est déjà plus. Elle se doit désormais aux fards de la complexité des modes, aridité, zen, haikus en pagaïe. Mais que l'on célèbre le frisson de ceux qui au lieu de se noyer dans l'hiver se sont baladés dans le printemps de ces yeux taillés en amande, oui, comme à Ostende, et comme partout, et l'on se retrouve qualifié de populaire, voire de populacier. Qui a défini ces ukases culturels? Qui peut se permettre de décider que telle forme artistique est noble et telle autre ne l'est pas?
De quel droit peut-on déterminer ce qui est de bon goût et ce qui ne l'est pas?
On peut aimer une certaine forme de snobisme sans pour autant se fourvoyer dans ces catégorisations on ne peut plus vulgaires. Etiqueter tout ce qui vous tombe sous la main est le véritable mal du siècle, car cela dresse des barrières qui n'ont pas lieu d'exister. On peut ne pas se pâmer devant la figure de Ferré et apprécier cependant son talent pour l'écriture, son art de mettre en musique des textes intemporels. On peut ne pas posséder l'intégrale de Brel et pourtant apprécier son talent dramatique dans le rendu de certains textes particulièrement poignants. On peut trouver Brassens binaire dans ses orchestrations et pourtant révérer en lui un orfèvre des mots et de l'inconvenance.

Je pleure en écoutant Purcell dicter à Didon ses adieux déchirants. Dois je pour autant me priver de chanter "le p'tit bout de la queue du chat" (qui vous électrise, oui) sous peine de passer pour une ringarde?
Je connais le requiem de WAM sur le bout des ongles et je frémis pourtant toujours aux premiers accords du Lacrymosa. Dois je pour autant renoncer au Boogie Woogie Bugle Boy des Andrew Sisters (en version inarticulée en diable faute de pouvoir suivre leur rythme effrené), des plus démodés?
J'aime me perdre aux accents d'une sérénade de Schubert et me laisse aller parfois au gré du courant où se cache sa Truite. Mais je ne résiste pas une seconde de trop à la version chantée qu'en donnèrent les Frères Jacques.
Je n'aime pas la violence gratuite. Mais "fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny, envoie-moi au ciel", quel délice!
Susurrer "
my heart belongs to Daddy" sous la douche ne m'empêche pas de passer des soirées à écouter un quatuor de Boccherini.

D'aucuns y verront un paradoxe, voire un signe prégnant de schizophrénie galopante. Libre à eux. Il en est de la musique comme de la littérature, il n'y a que des genres différents, pas de sous-genres, pas objectifs du moins. Je n'userai pas du mot "tolérance" dévoyé, détourné, distrait du sens que Voltaire lui conféra dans son traité éponyme. Je parlerai simplement d'une faculté de ne se priver de rien, pour mieux profiter de tout. Et si ces chansons populaires permettent de faire vivre encore cette poésie simple et dénuée des appareils de complexité dont notre époque se plait à se parer, je les chanterai à en rendre sourd le voisinage.

"La poésie fout le camp, François, emmène-moi, emmène-moi, nous irons boire à Montfaucon, à la santé de la chanson"

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