
Si l'on écoute attentivement le discours de gens qui nous entourent, ces codes de conduite ont été voué aux gémonies depuis bien longtemps et nous vivons, hommes et femmes notamment, sur un pied d'égalité revendiqué et obtenu de haute lutte grâce aux nombreux combats politico-socio-fumeux entamés par les tenants d'un nivellement -par le bas? - qui araserait les différences culturelles et sociales au lendemain du Grand Soir.
Je reste dubitative.
Combien de fois ai-je entendu des jeunes filles et jeunes femmes autour de moi prétendre que la politesse et la galanterie les hérissaient? Combien de fois ai-je entendu de jeunes parents prétendre que l'exigence d'un "s'il te plaît" ou d'un "pardon" de la part d'un enfant n'était qu'un moyen bourgeois de mettre en péril l'épanouissement du bambin? Combien de fois m'a t-on regardée comme un transfuge de quelque planète éloignée parce que j'attendais que l'on me servît en vin, que l'on me précédât à l'entrée d'un restaurant - et non l'inverse - ou parce que je sollicitais l'autorisation de quitter la table?
Et pourtant...
Ceux et celles qui s'indignent et s'étonnent ne sont-ils pas les premiers à hurler au scandale lorsqu'ils ne sont pas l'objet de toutes les attentions de leurs contemporains, ne sont-ils pas prompts à jeter des "merci qui ?.." à la cantonade, à traiter de tous les noms d'oiseaux l'homme qui leur lâchera la porte du métro dans le nez au lieu de la leur tenir galamment?
A en croire leurs dénégations il ne faut y voir là que restes d'un conditionnement éducationnel bourgeois qui peine à disparaître, mais l'on se soigne paraît-il.
Ah ? Admettons.
Il me semble néanmoins légitime, et ce sans que ce fût une peine ou une corvée en soi, de m'enquérir sincèrement de la santé de mes contemporains en les saluant quotidiennement, de ne pas passer le nez en l'air devant ce que les tenants de l'arasement social dénomment pourtant le "petit personnel" sans avoir un mot pour et avec eux - attitude typique et paternaliste des grands bourgeois m'a-t-on rétorqué - d'envoyer, d'autant plus facilement que les nouvelles technologies le facilitent grandement, un mot de remerciement au lendemain d'une soiréeagréablement passée.
De même, je ne saurais faire comme certains qui se font servir à table sans un regard pour la personne qui leur passe le plat (à gauche) ou leur remplit leur verre de vin (à droite) et qui jugent du dernier vulgaire de remercier l'opérant, fût-ce d'un sourire et d'un murmure. Manières de parvenus à mon sens, d'autant plus surprenantes que l'égalité qu'ils prônent... Mais mon point est établi sans que j'aie le besoin d'y revenir.
Je l'admets sans rougir, j'ai des faiblesses pour les hommes qui me tiennent la porte ouverte et m'invitent à passer d'un geste de la main ou d'une main frôlant le coude, avec cette courtoisie prétendument surannée mais ô combien plaisante.
Je ne peux être désagréable avec les vieux messieurs qui m'expriment de façon fleurie leur admiration avec force qualificatifs là où un de mes contemporains me proposerait un verre et la botte.
Je ronronne intérieurement lorsque je dois me battre pour m'acquitter de ma part d'une addition et finis par renoncer, toute envie d'émancipation étouffée par une insistante politesse.
Je sens mes genoux vaciller lorsqu'un homme prend mon coude pour traverser une rue, non parce que je suis invalide ou gênée par le port de talons hauts, mais parce que cela se fait - ou du moins se faisait.
Quant à recevoir un baisemain fait selon les règles, ce qui devient de plus en plus rare, il me faut une bonne demi-seconde pour m'en remettre.
Que le M.L.F. me pende à la plus haute branche du robinier de Saint Julien le Pauvre mais je continuerai à professer le plus grand mépris pour les gougnafiers qui ne songent pas une seule seconde au fait que mon verre de vin restera vide s'ils ne prennent la peine de le remplir, qui s'étonnent de me voir rester assise en présence de personnalités (exception faite du cadre professionnel où le sens des hiérarchies doit prendre le pas sur les convenances, fût-ce avec moins de précipitation que si l'on était un homme). Jamais je ne pourrai me résoudre à me vêtir autrement qu'avec un minimum de recherche pour une soirée à l'opéra, quitte à faire tache au milieu des jeans désormais courants, ou à aller dîner sans avoir pris la peine de m'apprêter un brin.
De même, je ne renoncerai jamais à expliquer aux jeunes enfants que des parents inconscients ont le malheur de laisser en ma présence, que des mots aussi simples que "bonjour", "s'il vous plaît", "merci" ou "pardon" sont des clés éprouvées ouvrant les portes de toutes les oreilles adultes.
Ainsi, j'eus l'extrême surprise de constater un jour qu'une remontrance que j'avais faite sur le mode de la plaisanterie à des adolescents portant leurs casquettes vissées sur le crâne en permanence, y compris indoor, avait fait son chemin et qu'ils se découvraient désormais systématiquement, non parce que cela était exigé par le règlement intérieur de leur établissement scolaire, mais parce que dans le cas contraire ils passaient pour des mufles auxquels les jeunes filles qui les cotoyaient ne prêteraient pas le moindre intérêt.
Il semblait donc que la galanterie pût encore avoir de beaux jours devant elle et que les manières de Cro Magnon de certains jeunes gens soient un masque à leur désir de jouer de temps à autres les petits marquis ; ils me le prouvèrent par la suite en employant régulièrement le verbe seoir, que bien des minets de bonne famille n'ont jamais utilisé pour complimenter une de leurs camarades.
Il ne s'agit guère que d'une anecdote mais je me plais à y trouver une morale : une courtoisie de bon ton, voire excessive sans pour autant verser dans le ridicule et suffisamment explicitée pour ne pas donner à autrui l'impression d'être votre dupe, ne serait-elle pas l'arme la plus efficace pour désamorcer certains conflits culturels et générationnels?
Sans pour autant rendre la lecture de ce bon Gandouin ou de l'incontournable Staffe obligatoire dans les classes républicaines, ne pourrait-on aborder ces questions de façon plus pratiques lors des scolaires lectures de la Recherche du Temps perdu? les manières des Guermantes n'ont plus lieu d'être dans les antichambres modernes, il y a pourtant à y prendre quelques leçons.
Enfin, encore faudrait-il pour cela ne pas s'illusionner quant à ce nivellement que l'on teinte faussement de démocratie pour mal dissimuler des sentiments moins nobles comme l'envie ou la jalousie.
Une société ne peut mériter ce nom que si chacun sait qu'il a une place et s'accorde à y demeurer, hormis quelques Rastignac qui ont la dent dure, et cela ne se peut qu'en respectant les règles qui conditionnent les relations entre les diverses strates qui la composent. L'anarchie n'a de charmes que pour ceux qui pensent en tirer profit, je crois.
Oui je sais... réactionnaire aux yeux du plus grand nombre, mais chacun est en droit de rester propriétaire de son opinion et, mieux, de l'exprimer, fût-elle contraire à la mode bien-pensante.
Dans une autre vie j'aurais clos ce réquisitoire par une carte de visite cornée portant la mention p.p.c.
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