dimanche 26 octobre 2008

Souvenirs: Maurice en mai

Un dimanche dans les jardins du Luxembourg. Incontournable Luco des années étudiantes, ses chaises de métal disposées ça et là, au bon vouloir des flâneurs. Chaises, fauteuils hauts et profonds où l'on se perd derrière un journal, où l'on étend ses jambes après une lente promenade.

Les statues hiératiques des reines de France dominant la terrasse Est, Berthe au fin profil, Clotilde au regard altier, tresses sagement posées sur le renflement de seins que couvrent de chastes bliauds brodés étalant leurs plis à la lumière d'un soleil encore timide.

Les petits cailloux qui jonchent les allées sont une malédiction pour qui arpente ces dernières avec des sandales aux côtés ouverts. Les rayons que filtrent des rideaux de nuages moutonnant, sans pour autant donner u
ne vraie fraîcheur, contraignent à demeurer cachée derrière les verres teintés et protecteurs.
C'est mieux, le spectacle n'en est que plus librement observé.

Des familles se rassemblent en ce jour de ma
i qui a des parfums de sorties de communion ou de baptême. Les étudiants, seuls ou en grappes, relisent leurs livres ou leurs notes, paressent sous les arbres en compensant leurs nuits trop courtes, c'est la saison des soirées et galas d'écoles.

Dans le bassin, quatre jeunes colverts aux cous émeraude se haussent sur leur croupion en d'insolentes et impressionnantes parades. La cane
qui zigzague entre les voiliers que guettent les enfants depuis le bord ne leur laisse pourtant pas la part du lion et régente l'espace avec des allures d'impératrice. Répondant à son cri, ou l'appelant d'une voix plaintive, quatre canetons ébouriffés partent à l'aventure en quête de miettes de pain tout le long du pourtour du bassin circulaire.

Ils évitent au dernier moment les voiliers miniatures que l'on loue et dont on a repeint les coques et les ponts de couleurs vives. Leurs voiles gardent pourtant la trace du passage du temps et des saisons, même si les numéros qui les ornent semblent avoir été retracés à la peinture noire.

De jeunes pères viennent en aide à leurs tous jeunes bambins, expliquant qu'ils vont leur montrer comment replacer le frêle esquif dans le bon sens, comment donner la bonne impulsion pour que s'engage au mieux une nouvelle traversée. Je les soupçonne d'user de cette excuse pédagogique pour revenir eux-mêmes en enfance tant ils s'obstinent à s'emparer du bâton de bambou ferré, sous l'oeil soupçonneux de leur progéniture qui se sent flouée.
Une brise légère souffle et gonfle ostensiblement les voiles.
Musée du Luxembourg, Maurice de Vlaminck, peintre flamboyant, mémorialiste de son temps aux sorties parfois truculentes, à l'aune de son tempérament de jouisseur tourmenté.
L'instinct Fauve, l'instinct du fau
ve, son visage rond appelle une crinière. Il s'est cherché longuement lors de la première décennie du siècle déjà passé, il a laissé parler l'instinct rugissant des couleurs les plus vives, reprenant inlassablement en touches virulentes de matière, en à-plat posés comme au hasard, en points étalés qui ressemblent à de larges virgules des rouges oscillant entre carmin et vermillon, des jaunes solaires, des orangés de fleurs vénéneuses, des bleus dont l'outremer ferait pâlir les vendeurs de couleur, un vert qui part du Véronèse et rappelle dans sa lividité suggérée les visages et les panses enflées des sujets de leçons d'anatomie flamandes.
Quelques cernes noirs, une touche de blanc pour éveiller la ronde des couleurs, la disposition change mais la palette demeure.

Voici venir à nous le Fauve en sa splendeur passée. Ses incursions en direction du cubisme me laissent perplexe. Sa gamme chromatique évoque les humeurs qui suintent des spleens baudelairiens, ses angles volontaires me blessent et me griffent, non je n'y adhère pas, vraiment pas.
Certaines toiles rappellent des Cézanne, devant lequel il est de bon ton de toujours se pâmer. Sacrilège, iconoclaste, impie, j'énonce à haute voix que je n'ai jamais aimé le peintre de la Sainte Victoire, m'attirant quelques regards courroucés et indignés. Tant pis... on dit que des goûts et des couleurs...
Un étrange objet digne du Quai Branly attire mon regard, mais je n'en saurai guère plus, au milieu des statues africaines que Vlaminck collectionnait, cet objet ne dépare pas, il est pourtant originaire d'Irlande du Nord. Fort singulier artefact, il me donnerait presque envie de retourner au Musée de l'Homme et de chercher à en savoir plus, si tant est que je puisse trouver là quelque réponse.

Le parcours est bref, la boutique offre finalement peu de choix, hormis le catalogue, qui présente quelque intérêt, mais combien de catalogues déjà dans mes bibliothèques, trop rarement ouverts, si ce n'est à la recherche parfois d'une toile dont le titre s'échappe.

Sortie par le jardin, après un dernier passage près du bassin, une pause trop brève, car le temps se gâte, sur les sièges en métal du Luco. Les couleurs de Paris en ce dimanche qui se termine sont plus celles d'un Nicolas de Staël qu'elles ne rappellent celles que je viens de quitter.

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