dimanche 24 mai 2009

Caeca invidia est

Ce n'est pas faute d'essayer de résister aux multiples tentations d'une société ultraconsumériste...

Ce n'est pas faute d'avoir renoncé à Satan, ses oeuvres, ses pompes et ses encarts publicitaires télévisuels (en dépit de la joie renouvelée que procure le décodage de leurs divers degrés de messages)...

Ce n'est pas faute d'avoir banni de mes périodes d'attente de traitement capillaire par petites mains professionnelles les pages glossy des magazines bon marché criant la facilité de se looker comme telle ou telle starlette...

On pourrait enfiler les anaphores des heures durant que le constat n'en demeurerait pas moins là, écrasant de culpabilité. Wilde prétendait - il avait ses raisons, indeed - qu'il pouvait résister à tout, sauf à la tentation; d'ailleurs, si nous n'y cédions jamais, quel serait l'intérêt de l'invention d'un principe comme celui de la rédemption?

Alors oui, tout en me disant que je cède ainsi à la compulsion qui fait que l'on attribue tant de faiblesses (le pluriel ne dilue-t-il pas l'impression?) à mon sexe, j'ai mes épisodes consuméristes à outrance.


Il est inutile de chercher à justifier l'achat de quatre paires de chaussures d'été en deux jours, le nombre de jours ensoleillés et cléments que nous réserve la saison ne suffira pas à établir un schéma de rentabilisation eu égard aux considérations fondamentales que sont les couleurs que l'on peut se laisser aller à porter, aux fantaisies autorisées le temps que dure une rose, aux matières tellement inconfortables que l'on préfère aller pieds nus dès que l'occasion se présente.

Confiteor quia peccavi nimis cogitatione (ah ces sandales rouges vertigineuses), verbo, opere et omissione, mea culpa, mea maxima culpa...

Mais de là à céder aux autres sirènes, ah mais non, on ne m'y prendra pas...


Excepté ce téléphone - si utile pour s'occuper chez le coiffeur notamment, mais aussi en se promenant les mains libres, permettant l'organisation inopinée de blind tests, servant de galerie virtuelle de poche, évitant de se salir les mains avec le New York Times (d'aucuns s'interrogeront sur l'utilité de la lecture d'une presse non seulement étrangère mais bien éloignée de nos préoccupations, mais justement... c'est là tout l'intérêt), offrant enfin la consultation hystérique et compulsive du Littré, du Trésor de la Langue française informatisé, du Cambridge, des horaires de cinéma du jour...

Et puis franchement, au-delà de ses qualités, mais aussi hélas, de ses limites techniques (comment cela je ne peux pas envoyer la photo tout juste traficotée de mes petits camarades aux absents?), l'objet est si joli en lui-même.

Indispensable, incontournable, primordial, vital, impératif, immanquable...


A se demander comment l'on a pu survivre sans lui jusqu'ici.

Le seul hic, il ne fait pas encore le café (mais suggère moults endroits pour l'aller savourer, donne quelques tips sur les façons idoines de le servir, etc.).


Et c'est là que la société de consommation vous rattrape...


A force de voir s'étaler sur les 4x3 parisiens le sourire Ultra-Brite d'un acteur américain qui sut émouvoir la ménagère de moins de cinquante ans férue de vibrations de défibrillateurs manipulés à grands coups de tuniques vertes (il faudra un jour m'expliquer en quoi les aventures d'une rate en voie de subir une ablation suscitent assez d'intérêt pour scotcher devant leur écran des millions de spectateurs en haleine), à force de s'entendre seriner "What else?" par toute personne dotée d'une lucarne HD ou non, à force d'entendre défaillir de vrais amateurs de café au souvenir des tasses compulsivement ingérées, j'ai fini par tester, l'été dernier, l'introduction d'une ravissante capsule de couleur métallisée dans une bruyante mais non moins rapide machine.


J'admets, l'effet était bluffant, tant par la qualité de la mousse supérieure que par l'odeur qui gagnait la cuisine pourtant ouverte aux quatre vents. Quant à la saveur...


Le démon de la surconsommation allait-il me gagner pour autant ?

Allais-je me ruer dans la première boutique d'électro-ménager pour rejoindre le club des maniaques de la capsule?


Non.


Enfin, pas tout de suite.

Les priorités que je m'étais fixées ne comprenaient pas de machine à café, aussi divine fût-elle (en revanche les huit paires de chaussures ouvertes acquises en prévision d'un été brûlant - qui s'avérerait probablement pluvieux - l'étaient totalement, c'est une évidence).

Mais il existe sûrement un dieu pour les amateurs de nectars parfumés et corsés, les addicts à cette nouvelle ambroisie pour insomniaques patentés, les gens qui ne sont pas raisonnables et s'enquillent un ristretto ou un lungo (dire americano chez les Italiens, quitte à s'attirer un regard méprisant ou amusé, mais bon, j'aime trop savourer mon café pour le boire en deux gorgées, vieux souvenir sans doute de l'impécuniosité des années lycéennes).

A l'orée du joli de mois de mai, il fut offert un de ces engins merveilleux qui percent et distillent les capsules en tasses fumantes à mon géniteur bien-aimé. Sa passion pour le café n'étant pas à la hauteur des bonds que je fis en voyant le carton d'emballage posé dans la salle à manger, et quelques kilomètres de supplications fébriles plus loin, je repartis chez moi, la main droite bien serrée sur la poignée du carton, et ne l'ouvris que pour installer la bête chromée et étonnamment peu encombrante sur le plan de travail de la cuisine, qui semblait avoir le juste espace nécessaire pour l'accueillir, non loin de la bouilloire (oui, on peut aimer le café et le thé à la même mesure) et du grille-pain.

Avais je donc réussi à assouvir mes fantasmes caféinomanes sans pour autant céder aux sirènes ultraconsuméristes?

Quand le Grand Jour viendrait, serais je épargnée par la purge qui ne manquerait pas de guetter les victimes consentantes de la Consommation ayant si longtemps tourné le dos, voire freiné sur la Révolution en marche?

J'avais un espoir, en effet, enfin jusqu'à ce qu'ils mettent la main sur ma pile impressionnante de chaussures (surtout celles fabriquées hors des ateliers français non encore fermés pour délocalisation en Chine ou au Sri Lanka), qui me ferait sûrement un bûcher approprié...
Hélas, trois fois hélas, il me fallut revenir bien vite à la raison...

La possession de la Bête chromée n'allait pas sans des virées dispendieuses au Temple de la Consommation (et si la Consommation devait avoir un temple, il reprendrait sans nul doute les lignes et les autels du N... Bar des Champs Elysées) pour aller quérir ma dose mensuelle de capsules.

Car, déjà plus accro qu'un héroïnomane cramponné à sa seringue, je ne pouvais déjà plus imaginer un matin sans le ronronnement de ma jolie machine.


Une chose cependant me rassure, la consommation à outrance de des divins breuvages ne rend toutefois pas addict à la personne de M. Clooney, ce qui m'eût profondément contrariée, en dépit de talents d'acteur et de producteur indéniables de cette personne.

Allez tiens, je vais de ce pasrevisionner O'Brother (where art Thou?) en sirotant un café...