jeudi 4 juin 2009

Nell’ora del dolore

Je n'ai jamais aimé l'opéra Bastille, pas par un snobisme effréné envers l'architecture contemporaine, non, mais parce que je me trouve chaque fois confrontée au même problème d'acoustique...

Sur les envolées de l'orchestre, une sorte de mur semble s'élever parfois et couvre - et c'est bien dommage - les voix notamment du choeur.

Il est donc heureux que la Tosca ne soit pas un opéra trop submergé de ces grands moments choraux, nonobstant, je persiste et signe puisque mon plaisir en a tout de même été un peu gâché au premier acte.

Passons...


A cheval donné on ne regarde pas les dents, et je pouvais déjà m'estimer heureuse de disposer d'une excellente place de parterre alors que cet oeuvre se donne à guichets fermés, paraît-il. Et puis, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas vécu le frisson d'une voix en direct...

Autant dire que je guettais mon "e lucevan le stelle" en piaffant...


La mise en scène, et ses décors volontairement sobres mais judicieux, me surprit agréablement (si l'on excepte les premiers instant du dernier acte, sur lesquels je m'interroge encore, peut être devrais je revoir le livret de plus près, après tout), avec un parti pris de modernité me négligeant pas pour autant le clin d'oeil vers un univers que l'on imagine volontiers baroque - non pas d'anachronisme ici, je me réfère à une profusion de tentures et dorures comme on les privilégiait à la grande époque - en contournant habilement le piège si facile de la surcharge.


Je ne connaissais évidemment aucun des interprètes - puisque cela fait bien longtemps que je ne fréquente plus les salles - mais l'annonce du remplacement au pied levé de l'interprète du soir de Mario (initialement A. Antonenko) par un sieur Agafonov pouvait laisser présager le meilleur... ou pas.


Il ne manquait pas de bonne volonté et d'envie de bien faire, comme on peut l'imaginer, et puis la critique pour être aisée, n'en retire pour autant aucun mérite à celui qui dispose d'une maîtrise technique que l'on n'effleurera jamais. Il manquait toutefois ce je ne sais quoi qui décolle pratiquement du siège, qui donne la chair de poule, qui fait trembler... Et s'il s'en tira plus qu'honorablement, il faut tout de même le dire, en dépit de l'épidémie tussive qui semblait avoir gagné la salle à maintes reprises (la grippe A déjà???), il resta toutefois en-deçà de la force dramatique de son rôle de sacrifié au coeur si grand. Et puis, il faut bien l'avouer, après Placido... qui saura encore faire scintiller les étoiles dans l'eau qui borde nos paupières ?

Manque d'objectivité et parti pris, je l'admets volontiers (et que l'on ne vienne surtout pas me parler d'Alagna ou je fais une poussée d'urticaire).


Le Scarpia du sieur Morris n'avait rien de gentil mais péchait peut être par manque de machiavélisme affiché (c'est vrai tout de même, Scarpia c'est le vrai méchant par essence, méchant même après son trépas d'ailleurs). Lorsqu'il explique qu'il n'entend user de Tosca que pour mieux la rejeter dans l'oubli après consommation, on a quelque peine à le croire, il semble trop épris, et ça ce n'est pas vraiment l'idée directrice, hélas.

Et Tosca, est-on légitimement en droit de se demander ? Quid de la cantatrice qui clame "vissi d'arte, vissi d'amore" ? Adina Nitescu, jolie brune piquante, ne manque pas de personnalité, c'est le moins que l'on puisse dire. On peut même préciser qu'elle n'en fait pas trop non plus, ce qui est sans nul doute la chausse trappe majeure du rôle. Elle est à la fois amusante dans ses jalousies, touchante dans sa ferveur à la Madone, prenante dans le dilemme qui la torture.

Son "Vissi d'arte" s'envolait, doucement pour commencer, puis sûrement, vers les cieux d'une interprétation sans reproche lorsque... pour quelle raison, par quel mystère, sur ce "perchè Signore" si bouleversant que l'on se sent quitter terre, sa voix sembla se refermer, oh, juste un brin, mais assez pour ne pas laisser la note déployer ses ailes dans toute sa plénitude. J'en grinçai quasiment des dents, étouffant à grand peine un gémissement de dépit tant elle m'avait prise au jeu jusque-là.

Cantatus coïtus interruptus
s'il en est.


Certains - a posteriori - ont évoqué la perturbation créée par le changement dans la distribution, un décalage de fait entre les interprètes majeurs qui aurait créé une interférence.

Admettons, je ne dispose pas des éléments pour infirmer ou confirmer cette hypothèse. Je n'en garde pas moins un souvenir fort plaisant de cette soirée, en dépit du nombre cumulé de cadavres qui jonche les planches lorsque le rideau tombe. Il est certain que la Tosca n'est pas l'histoire d'une partie de campagne non plus et que Puccini ne donne pas dans la légèreté (il n'y a qu'à voir Mme Butterfly).

Mais comment se passer de ce frisson tragique?


Ah j'ai failli oublier... une direction musicale excellente, toute en finesse et en puissance à la fois, avec un Te Deum superbe, il convient de le préciser (pourquoi oublie-t-on toujours l'orchestre et son chef lorsqu'on parle d'opéra? Bonne question)