samedi 14 novembre 2009

April in Paris

Pour hâter le retour du printemps, arôme de papier froissé, deux pages restées collées par hasard... ou pas.

Ca y est, les jours s'allongent et les ombres avec elles, voici venu le temps où l'on aime flâner, on se plaît à chercher l'aile d'une hirondelle, et l'on passe des heures aux terrasses des cafés.

C'est à ces moments-là que les jupes fleurissent, que les jambes des filles attirent les regards, il y a dans l'air du soir des mots doux qui frémissent, il n'y a plus de matins brouillés aux yeux hagards.

Tout paraît si léger et tout devient possible, on se prend à rêver, parfois à espérer; on attend tout d'un rien, tout nous semble accessible; un rien devient un jeu, une raison d'exulter.

Il ne faut parfois pas plus qu'un regard croisé pour se sentir soudain devenir roi du monde. C'est l'heure des frôlements, des gestes échangés, la valse hésitation, l'impitoyable ronde.

Dans l'air du soir frémissent des mollets dénudés, des épaules encore blêmes, des joues qui se rosissent. Le vent qui s'était tu fait soudain s'envoler la longue robe brune d'une blonde inconnue.

Instantané fugace d'une jambe exposée, un souffle de désir a envahi la rue. Et dans les yeux mi-clos des mâles aux aguets, les envies d'être sage tout à coup pâlissent.

Allegro ma non troppo

Je ne peux en aucun cas prétendre connaître la musique russe - il serait d'ailleurs présomptueux de ma part de prétendre connaître réellement quelque musique que ce fût, mon éducation n'ayant compris ni la pratique du moindre instrument, ni l'apprentissage du solfège - et encore moins des compositeurs tels que Rachmaninov, qui sont entrés très tardivement dans ma vie.

Quelle ne fut pas ma surprise dès lors de découvrir que l'un des concertos pour piano dudit compositeur (le n°18 en do mineur pour être précise) n'était autre que la base d'une rengaine sirupeuse datant des années 70 et remise au goût du jour par une de ces chanteuses qui font les choux gras des casinos de Vegas.

Double choc: mon inculture musicale en premier lieu, car je n'avais jamais entendu ce concerto, qui semble pourtant être l'un des plus célèbres de Rachmaninov, et ensuite devant l'audace d'un individu qui ne s'est pas foulé pour obtenir un morceau de ceux qui squattent la tête des charts pendant des semaines.

Renseignements pris, il apparaît que ledit personnage pensait (en toute bonne foi?) que la composition du Russe était tombée dans le domaine public.

Il peut sembler inutile de s'émouvoir, tout le monde a aux oreilles les accents d'un Gainsbourg reprenant Chopin, Brahms ou Dvořák entre autres.

Mais le rapport de Gainsbourg a cette musique semble diamétralement différent, ne choque pas, apparaît plus comme un clin d'oeil aux mélomanes de la part d'un fou de musique.

Est ce une forme d'anti-américanisme primaire que d'intenter ainsi une forme de procès en détournement sous prétexte que celui qui a réinvesti Rachmaninov est plus connu pour avoir écrit des morceaux sur la B.O. de Dirty Dancing que pour avoir laissé un véritable patrimoine musical en héritage?

C'est toujours possible...

La musique est un champ de possibles où les reprises et les emprunts sont légion. Un compositeur comme Mozart, dont la mémoire musicale est confondante - et il suffit pour cela de se remémorer l'anecdote du Miserere d'Allegri, entièrement retranscrit à l'issue d'une seule écoute et sans opportunité de prendre une note - a pu subir des influences multiples sans en être forcément conscient. Et il arrive parfois qu'à l'écoute de son oeuvre on se prenne à noter des similitudes avec tel ou tel passage d'un compositeur antérieur.

Peut-être est-ce aussi une des raisons pour lesquels nous naviguons tous sans trop de roulis entre les diverses époques qui ont marqué l'histoire de la musique, car dans chacune d'elle on décèle un accent, un bouquet de notes ou d'harmoniques dont la familiarité même lointaine rend soudain notre oreille plus réceptive.

Je me suis éloignée sans le vouloir de la musique russe, et chemin faisant, suis repartie m'égarer le long des chemins bordés de Köchel, de basse continue, d'aria da capo.

J'ai sans doute besoin d'un peu plus de temps pour pénétrer mieux la quintessence d'une âme slave que je trouve bien plus facilement dans la littérature, et avec grand plaisir.

Mais une oreille ne s'éduque qu'avec le temps, et je compte bien le prendre.