vendredi 3 septembre 2010

Patior ergo sum

Eluard a intitulé un de ses volumes "Capitale de la Douleur". Qu'en est-il des douleurs capitales? De ces douleurs dont on pense ne pas se remettre, et qui s'étendent dans le temps au point que l'on voudrait s'assommer contre un mur ou se tirer une balle pour que cela cesse enfin?

La souffrance est un sujet que l'on n'aborde qu'avec prudence, et certainement pas dans une conversation courante.

A la question quotidienne et dénuée de sens à la longue "Ca va?" (Bruckner écrit un encart remarquable sur le sujet dans L'Euphorie perpétuelle: Essais sur le devoir de bonheur publié en 2000), se voit-on raisonnablement répondre que "non, ça ne va pas, je me suis tordu(e) de douleur pendant deux heures cette nuit"?


Non


La Faculté n'a pas son pareil pour nous lancer des défis improbables. ll nous faut désormais être en mesure de définir la douleur ressentie sur une échelle graduée de 1 à 10. Quelle bonne blague... On passe au mieux pour non-malade, au pire pour douillet. Mais comment peut-on raisonnablement penser possible de comparer des seuils de douleur provenant d'affections et de pathologies à la diversité vertigineuse?

Je cherche encore la réponse.


Et puis il y a ce que l'on appelle être dur au mal...

A la longue, la douleur s'apprivoise, et ce qui noussemblait intolérable il y a quelques mois, devient normalité indolore. Le mal est là pourtant, tapi, guettant l'occasion de monter crescendo, de faire résonner sa toute-puissance.

Il ne fera aucun cadeau. Il fera feu de tous bois, et vous terrassera comme jamais auparavant.
Comment supporter le retour de cette douleur dont l'intensité ne cesse d'augmenter. Comment prendre sereinement les heures passées en examens divers et variés et dont les réponses ne satisfont personne?

La difficulté vient parfois de la mise en pratique de l'adage selon lequel le remède est parfois pire que le mal... Se faire soigner et guérir oui, mais à quel prix? N'oublions jamais que le patient, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'est pas celui qui attend la délivrance, mais celui qui souffre (même racine latine que le verbe pâtir)

Le traitement de pathologies lourdes et, si laissées en l'état, létales est un processus destructeur. Chez certaines femmes, il va de pair avec la perte d'une partie de soi, la « pound of flesh » shakespearienne en règlement de la dette sanitaire, dont l'impact psychologique en cela qu'il entame le principe même de leur féminité est plus douloureux que la maladie, sournoise et tapie, discrète et indolore pour un temps.

Et souvent, cela ne s'arrête pas là, puisqu'il faut terrasser la bête immonde au prix de séances que toutes décrivent comme difficilement supportables, puisqu'après sa féminité c'est son identité et son apparence offerte aux yeux d'autrui qu'il faut voir subir une rapide dégradation. Peau qui se parchemine et se grise, cheveux qui se raréfient et finissent par ne plus être qu'un souvenir. Spectacle auto-imposé d'une décadence accélérée, rappel de la vanité de notre passage sur la terre, et tout cela subi pour contrecarrer l'avancée de la douleur.

D'une façon optimiste, considérons que ces traitements portent leurs fruits, mais comment gère-t-on l'après-douleur?

Lorsqu'on a partagé ses jours avec ces douleurs capitales, physiques ou psychologiques, comment vit-on l'après, celui qui se borde d'appréhension chevillée aux souvenirs?

Hélas, dès lors que l'on ne souffre plus de façon exhibitionniste et reconnue par la Faculté, il n'y a guère d'accompagnement possible, il n'y a plus rien que le dialogue silencieux entre soi et sa peur. Sa peur de quoi?



Que tout cela recommence.