dimanche 20 septembre 2009

Bon anniversaire

Dans une semaine - samedi pour être plus précise - c'est l'anniversaire de C..., ma meilleure amie.

Oui, je sais, d'aucuns trouveront niais l'emploi de cette expression dans la bouche ou sous les doigts de quelqu'un qui a dépassé la ligne des 35 ans.

Il s'agit pourtant de la seule expression convenable, idoine, appropriée et ancrée dans la réalité. Ma (à moi, pas à mes voisins) meilleure (parce qu'à un niveau supérieur il n'y a personne) amie (ah qu'est ce que l'amitié, j'y reviendrai, mais c'est diablement plus difficile à trouver et à entretenir que l'amour au sein d'un couple, en un sens).

Au-delà de son anniver
saire (elle atteint l'âge vénérable de 37 ans, et ce avec une silhouette de gazelle et un minois de jeune fille; saluons l'exploit, même avec envie), il y a aussi matière à célébrer le moment de notre rencontre. Nous nous sommes, en effet, connues sur les bancs de l'école primaire bien que n'ayant jamais partagé la même classe.

Le mois de septembre est donc évocateur du moment où nous nous sommes parlé pour la première
fois. Par une suite de hasards malencontreux (plus de place en atelier cuisine pour elle et pas de choix pour moi qui étais absente le jour de la sélection) nous nous retrouvâmes dans l'atelier broderie des activités manuelles du vendredi après-midi.

La broderie...


Il suffit de dire que C... préfère de loin le fil de plomb des vitraillistes voire le fil à plomb des bâtisseurs à tout autre type de fil...
Quant à moi, j'ai démontré depuis que le maniement de l'aiguille ne ferait jamais partie de mes possibles talents (dans le cas contraire, les boutons que je recouds à grand-peine garderaient une position stable plus d'une semaine, je pen
se).

Bref, n
ous peinâmes (enfin je peinai, elle a le privilège d'être si habile de ses mains que même le point de tige lui était facile) sur un napperon floral du meilleur goût. Ah oui, il s'agissait là de véritable broderie, pas de tapisserie sur canevas pré-coloré...

Il convient là encore de préciser que nous fréquentions à l'époque une école républicaine et laïque au sein de la
quelle on eût pu penser que la vision de l'éducation des jeunes filles ne gardait plus trace de ce que Colette en décrit dans Claudine à l'école...
A nous imaginer sagement pe
nchée sur notre toile bardée de pointillés, on eût pu croire que planait sur nous l'ombre de quelque bonne soeur bienveillante.

Eh bien non!


A ma grande honte, et bien que plus de vingt cinq ans aient égréné leurs gouttes à la clepsydre du temps, je suis parfois, à l'occasion d'un déménagement ou autre mouvement de boîtes de rangement, confrontée à la visio
n de ce trésor archéologique que C..., conservatrice ès objets en tous genres, a précieusement conservé. Nous nous amusons en voyant la netteté avec laquelle se remarque la différence de jeté de point entre sa main (sûre et rigoureuse) et la mienne (brouillonne et pas du tout concernée).

Mais il m'est impossible de médire de cette broderie ou de cet atelier puisque sans eux je n'eusse jamais eu la chance de rencontrer puis de me lier d'amitié avec C... .

De fil en aiguille justement, elle m'invita chez elle pour me montrer une tapisserie que sa m
ère avait dans son cabinet de curiosités, euh, son salon. A partir de là, nous partageâmes une infinité de choses.

Nourries comme nous l'étions par l'esprit d'ouverture de nos parents, nous avions un terrain de jeu à l'échelle d'un monde, toute découverte nous était permise voire encouragée.

Elle jouait du violon déjà à l'époque, moi j'écoutais en reprenant sans technique mais avec conviction des airs d'opéra. Nous explorâmes donc les discothèques familiales avec attention, nous émouvant d'un Dido & Aeneas de Purcell, attentives à un concierto d'Aranjuez de Rodrigo, tentant de nos voix encore juvéniles de grimper à l'assaut des notes ve
rtigineuses de Der Hölle Rache, battant la mesure sur Paco de Lucia et son Entre dos aguas au point que la K7 a dû se démagnétiser.

Certains moment restent gravés plus que d'autres, comme le battement de son pied pour garder la mesure du Kanon in D de Pachelbel qu'elle déchiffrait, comme une série de fous rires pris sur un morceau bien particulier de Tom Waits, comme notre façon d'enchaîner à toute vitesse les répliques entrecroisées d'Armande et d'Henriette dans les Femmes savantes, comme nos tentatives de compréhension des notes de bas de page de Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse des contes de fées - mais peut être étions nous encore trop jeunes pour saisir les subtilités du monde psychanalytique, en tous les
cas cela nous démontra magistralement qu'en littérature les degrés d'interprétation ne manquaient pas et qu'il ne fallait jamais rien prendre pour acquis.

Nous n'eûmes pas que des bons moments, mais les mauvais relèvent de l'intime, leur présence est importante aussi pour cimenter une amitié.

Il semble rare, presque une forme de privilège, de savoir les partager tout en conservant une certaine forme de pudeur, et peut être est-ce cela qui nous rapproche encore. Nous nous connaissons à demi-mot, nous nous lisons à livre ouvert, mais nous avons encore énormément à apprendre l'une de l'autre, à échanger sans compétition ni surenchère, nous comprenant parfois d'un simple regard qui peut nous faire éclater de rire à la surp
rise des gens présents.

Peut être est ce cela tout simplement l'amitié ?

Une forme supérieure de compréhension, une acceptation de l'autre en dépit, peut être même grâce à ses différences d'opinion, un socle commun de valeurs et d'éducation qui font que l'on partage un même langage comportemental, une même syntaxe affective, un même lexique social, des a
ffinités qui se croisent, qui se développent, qui évoluent avec le temps, l'envie de se faire découvrir des choses que l'on a aimées ou de confronter à l'autre des choses que l'on a détestées.

C'est aussi accepter ce que l'on pourrait prendre pour des erreurs, tout en se refusant à réellement porter un jugement, quitte à prendre sur soi, car, qu'est-ce qui importe le plus ? Avoir raison sur des fondements souvent incomplets (car on ne vit que sa vie, jamais celle des au
tres après tout) ou accepter de se rendre compte que l'on a tort en partie mais en privilégiant un lien rare?

On a beau dire, seule une véritable amitié sait s'inscrire dans la durée et ce, sans les recours parfois faciles que l'on use pour aplanir les difficultés de couples.

J'ai partagé avec C... quatre fois plus de temps de vie qu'avec l'homme que j'avais épousé...

C'est dire.


Alors bon anniversaire, toi ma meilleure amie que j'aime de tout mon coeur, en attendant de lever mon verre aux années qu'il nous reste à partager...

(et comme dirait ton fils : "Tsin Tsin!")