dimanche 11 avril 2010

"Longtemps je me suis couché de bonne heure."


Quand les journées sont douces comme celles-ci et que mon ordinateur me conduit d'une musique à l'autre sans que je tente la moindre interférence, me viennent des envies de relire toute la Recherche en 24 heures... de me lancer dans l'exercice puissant d'une lecture amusée du journal des Goncourt, de celui de Jules Renard.

Je ressens bien plus qu'à n'importe quelle heure l'envie d'avoir vécu une autre époque. Je cherche sur le fauteuil de rotin la fine camisole brodée que portait mon arrière-grand-mère avant moi et que j'ai trouvée dans un coffre au grenier et emportée dans ma valise un jour d'été trop moite. Je me demande où se trouvent les cache-corsets bordés de Calais dont je devais fixer les bretelles par des épingles pour éviter qu'ils ne bâillassent quand je trouvais du dernier chic des les porter sur un jean, il y a près de vingt ans.


Il me vient des envies de dentelles fanées, de gants jaunis en chevreau, de cache-poussière séculaire, de ressortir les bibis et chapeaux à voilette sagement rangés dans des cartons ronds, au plus haut des armoires de ma chambre d'enfant.


Je pourrais un instant parcourir le chemin en arrière sur la route des décennies en jouant d'un éventail aux lames assouplies par l'usage quotidien dans les chaleurs andalouses, en drapant mes épaules d'un châle aux laines douces et précieuses, en nouant autour de mon cou le ruban de velours noir où repose un camée, en me laissant porter une fois encore, toujours, avec la même volupté par les premières notes de la Traviata - pourquoi l'ouverture de la Traviata me met-elle toujours dans un état de rêverie et d'anticipation tel que j'en viens à divaguer de la sorte, me direz-vous? Inexplicable et cependant imparable... J'ai toujours été emportée par quelques-unes, oh si peu, de ces notes, irrémédiablement et le fait d'avoir vu de nombreuses fois cet opéra ne m'en a jamais guérie ; à chaque fois je frissonne -.


Non, je ne veux à cette heure que des parfums passés aux senteurs de frangipaniers ou de lavande et musc, des thés pris à l'ombre de chèvrefeuilles et dans la douceur sucrée du jasmin qui éclot, des cuillères à absinthe ouvragées abandonnées sur des tables, des bruissements de taffetas et de soie moirée dans les allées des Tuileries ou du Luxembourg, des gants qui s'effleurent, toujours comme par mégarde...


Je veux que mon regard se baisse hypocritement et filtre à travers les cils en voyant passer un de ces élégants à la Robert de Montesquiou, à défaut d'un Charlus, guettant le mouvement de balancier d'une canne dont l'usage n'est autre qu'esthétique. Des époques où le fait d'être femme ne protégeait de rien, mais n'empêchait pas pour autant d'exprimer une part de soi, un temps de codes aujpurd'hui surannées mais bien plus expressifs que les acronymes et onomatopées contemporains. Un rêve de matières précieuses, de senteurs animales, de rubans à dénouer, de plumes à fixer, d'étoffes à froisser, d'épaisseurs à trousser, de chevilles qui apparaissent soudainement dans le sillage d'un pas trop vif. Une nostalgie de regards authentiques et d'instantanés volés, des rencontres improbables, mais des rencontres tout de même : « Car j'ignore où tu vas, tu ne sais où je vais, ô toi que j'eusse aimé, ô toi qui le savait »

Ce soir je m'endormirai en me rêvant Colette, Léontine Caillavet, Laure de Sade, comtesse de Chevigné, Elisabeth Greffulhe, Sarah Bernhardt, Anna de Noailles et tant d'autres encore... Et demain je retrouverai ce maussade XXIe siècle qui n'a pas ces légèretés des autres temps...


El sueño de la razón produce monstruos


La sensation du vide est la plus déplaisante. Elle induit la possibilité d'une chute sans fin, elle prévient de son imminence par une forme de haut-le-coeur qui vous laisse ce dernier battant la chamade. Plus qu'un vertige, c'est une impression de perte de soi qui prend le dessus et fait surgir sueurs froides et angoisses. J'ai toujours détesté dormir dans des lits qui n'avaient ni contact avec le mur ni meuble mitoyen pouvant pallier cette absence insupportable de garde-fou. Par quelle étrange le motivation un corps en équilibre précaire est-il irrésistiblement attiré par le vide et quelle obscure raison lui fait ressentir les quelques centimètres qui le séparent du sol en gouffre sans fond. Combien de réveil urgents et haletants, la nausée au bord des lèvres, au sortir d'un rétablissement de dernière minute avant la chute? Dormir n'est pas toujours un abandon à la sérénité et à l'oubli, le sommeil ouvre les portes des champs Phlégréens, des portes de l'Enfer de Virgile.Dans ses vapeurs toxiques, on perd le sens des choses, la réalité se fond et se confond, et l'on s'interroge à postériori sur la véracité de mots échangés, sur la collusion entre le vécu et l'imaginé. Ai-je eu cette conversation-là, ai-je visité ce lieu-ci, ai-je pris ces décisions de façon irrévocable?

Cette chute dans le vide est souvent le moyen que trouve notre corps de nous sortir de rêves aux méandres qui se complexifient, et dont nous peinons à trouver le dénouement. Libéré des contraintes sociétales et des inhibitions du quotidien, notre esprit prend ses aises, compose sa propre bande originale, réalise des castings improbables, nous balance in media res dans des schémas actanciels inimaginés et irréalisables. Comme pour tester notre capacité à réagir et à agir dans le cadre de ces mini-crises que nous évitons soigneusement en journée.

Cela explique que certains réveils soient plus épuisants que les journées qui les ont précédés.
Et cela confime mon regret de toujours : que l'on ne puisse induire la nature des rêves à venir en s'abandonnant au plaisir des pages.

Combien de fois n'eussé-je pas préféré passer la nuit dans les troubles bas-fonds londoniens explorés par certains auteurs, plutôt que de revivre une journée blanche de bureau - aux accent si véridiques que je peine à émerger de l'abri de ma couette au matin, tellement persuadée d'avoir d'ores et déjà vécu la journée qui m'attend - , combien de promenades crépusculaires dans les jardins de l'Alcazar, combien de chevauchées matinales dans la brume des marécages, d'après-midi de visite chez la duchesse de Guermantes n'eussé-je pas échangé contre mes chutes répétées, mes réveils hagards, mes angoisses encore vives et qui me collent les cheveux aux tempes et à la nuque?

Pas de monstres dans les placards ou sous le lit donc, juste des occasions manquées, des pas qui trébuchent, des basculements qui préemptent une chute que l'on retient sur le fil et qui ont le goût amer de la survie.

Goya avait raison "el sueño de la razón produce monstruos"

vendredi 2 avril 2010

Métropolitain

(ce texte a été publié le 12/06/08 sur un support n'existant plus)

Je ne sais si je m’en remettrai… La nouvelle est effroyable, le choc est rude. Dois-je acquérir sur le champ quelque métrage de crêpe noir pour m’en voiler ? Est-ce une perte que l’on ne saurait surmonter sans observer , au préalable, une longue période de deuil ?

Oui, la nouvelle est tombée ce matin comme une météorite sur la Tour Eiffel… Le Métrosexuel n’est plus.

Moi qui commençais juste à m’habituer à son existence, recueillant deci delà quelques informations glanées au détour d’une conversation sur les mœurs du temps sur ses us et coutumes, et qui tentais petit à petit de modéliser une figure tridimensionnelle de cet objet nouveau et incontournable.

Sera-ce un hommage à titre posthume que ce propos décousu qui n’est encore à ce jour qu’une ébauche d’étude et qu'il convient de livrer immédiatement de peur que son objet ne sombre dans l'oubli ? Le glas a-t-il vraiment sonné pour accompagner solennellement ce cercueil designed by Starck et doublé par Burberry's, avec compartiments latéraux pour l'Iphone et brumisateur d’huiles essentielles ?

Je ressens l’amère frustration de l’enfant dont le jouet s’est brisé avant que ne se termine le jour de Noël, victime d’un emportement enthousiaste ou de rivalités fraternelles. Je suis pareille à l’utilisatrice de sex toy qui se rend compte dans la chaleur de la nuit que les piles R4 ne sont pas incluses dans la boîte de son nouvel ustensile et que l’épicier du coin vient de clore son rideau de fer. Je vis le drame intense de la ménagère ayant promis à ses enfants un quatre-quarts pour le goûter du dimanche après-midi et dont le placard ne contient plus une poussière de farine.

La mode et ses tourbillons vertigineux m’ont piqué mon nouveau jouet et c’est insupportable !

Moi qui venais de comprendre que le métrosexuel était un être très agréable à fréquenter, en dépit du complexe d’infériorité que j’étais en droit de ressentir (undomestic goddess par excellence) lorsque confrontée au soin méticuleux qu’il apportait lui-même à son linge, j’en tremblais de dépit

Moi qui avais réalisé avec stupéfaction qu’il y avait dans cet homme un être capable de converser longuement des mérites respectifs du cachemire trois fil et d’un cirage à la brosse pour certaines qualités de cuir, j’en gémissais de rage.

Moi qui pouvais - sans avoir à entendre un ricanement sur les étiques repas à trois feuilles de roquette - gloser sur les qualités nutritionnelles des recettes de poisson vapeur aux légumes croquants, je m’abandonnais au désespoir le plus sombre.

Moi qui avais placé tant d’espoir dans l’émergence de cet homme nouveau, sans une once de féminité cachée mais préoccupé par sa qualité et son hygiène de vie, esthète éduqué sachant être jouisseur tout en gardant de la mesure, exigeant envers les autres mais avant tout envers lui-même, je me sentais soudainement orpheline.

L’übersexuel avait triomphé…

Aux poils soyeux et entretenus à l’aide d’une tondeuse d’une barbe de trois jours gommée et adoucie succédait sur le trône de la désirabilité la figure hirsute et néanderthalienne d’un Chabal (je me réfère là à sa seule image, l’homme est paraît il d’une grande douceur et discrétion), à l’esthète averti se plaisant à écouter sans jouer les connaisseurs aussi bien une pièce de Boccherini qu'une ligne de basse de Simon Gallup succédait l’amateur de Bon Jovi ou 50 cents dépenaillé…

Le règne du poil libéré était annoncé, et avec lui le chant du cygne de la métrosexualité. Et je le tenais de source sûre... un métrosexuel exorcisé en personne.

Bigre…

Quelques heures plus tard, force me fut de constater de visu que l’individu qui m'avait initié au concept et qui servait de modèle standard à mon étude empirique du métrosexuel (sa vie, son œuvre) portait néanmoins au poignet un sac de courses contenant des produits d’entretien capillaire, de ceux qui eussent fait rire Chabal à s’en éclater la rate.

En dépit de sa mort annoncée, tel Lazare relevé de son lit de mort, à défaut de bander, le métrosexuel bougeait encore…