dimanche 26 octobre 2008

De l'esprit comme une commode: tiroir du haut


Certains ont l’esprit en escalier, mais d'autres, on l'aura bien compris, voient le leur comme une commode. Baudelaire, dans l’un des ses spleens, déclarait que son (triste) cerveau cachait plus de secrets qu’un gros meuble à tiroirs encombré de bilans, de vers, de billets doux, de procès, de romances, avec de lourds cheveux roulés dans des quittances. Je rends les cheveux à qui en aura l’usage mais conserve par devers moi les quittances, qui sait si l’on ne m’en demandera pas d’en rendre compte un jour ?

Les bilans sont souvent les plus faciles à classer et à organiser dans les dossiers que l’on apprend à suspendre aux cimaises de sa mémoire. Ils tiennent en peu de choses, se révèlent souvent manichéens, plus souvent encore de mauvaise foi, parfois penauds voire repentants.

Les vers, quant à eux, sont plutôt des jeux, des paris, des exercices. Que l'on en écrive un ou qu'on les accumule, ils ne sont bien souvent que le fruit d'un calcul. En comptant douze pieds, on se sait assuré, dix ou huit en revanche font parfois trébucher. On reconnaît enfin, lorsqu'on a du recul, qu'aligner des quatrains en fait est ridicule, et que pour mélodieuse que fût cette pratique, elle ne sonne pas juste dans nos vies sans musique.

Les billets doux, ah qu'ils le semblaient aux temps bénis où l'illusion de la douceur nous anesthésiait encore... Qu'ils semblent creux et sans substance quand l'instant a passé. Tous les serments déclarés la main honnêtement serrée sur un coeur qui ne bat que pour vous, les je t'aimerai éternellement, au point que la mort même ne saura distendre le fil qui nous relie, je t'aimerai en dépit de tout ce qui nous sépare et scellons nos destins au ciment de nos différences essentielles... Ces billets qui rappellent comment s'échappait une mèche sur un oreiller un matin, qui comptent les minutes d'éloignement, qui tremblent sous le poids des toujours des jamais des encore des toi, oui, toi, encore toi et puis... sur le dessus de la pile, le dernier billet « Ne m'attends pas ce soir ».

Procès facile, puisqu'à charge seulement, mais n'est-ce pas là le principe du nemo auditur propriam turpitudinem allegans?

Romancer enfin les miettes que l'on a ramassées. Se souvenir des belles choses, reprenait comme devise une réalisatrice dans un film éponyme ? Peut-être ne garde-t-on en fait que les bribes qui n'ont que l'importance que l'on veut bien leur donner. Peut-être que pour ne pas avoir à se sentir médiocre on préfère ne conserver que la version des faits où l'on se donne le beau rôle.

A mesure que l'on avance en âge et que l'on remplace les liaisons éphémères comme les insectes du même nom, aux ailes plus vite brûlées qu'elles n'ont mis de temps à se déployer, par des histoires aux accents que l'on veut plus adultes, on écrit son histoire en omettant les parts d'ombre. On accusera ainsi plus facilement quelqu'un d'avoir pas su être à la hauteur de nos attentes, de nos espérances, mais surtout de nos rêves si l'on s'en fait l'image d'un bouffon sans épaisseur, sans talent aucun, pas même celui d'avoir, un moment été sincère. A quoi bon convoquer les moments plaisants et riants que l'on partagés, les heures passées à s'étreindre sans vraiment se parler, si ce n'est du regard, les bagarres de gosse pour une serviette éponge plus sèche qu'une autre, qui se finissent en gémissant dans une baignoire dont on griffe les murs carrelés, les rencontres anodines dans le couloir qui mène à la cuisine qui ne se concluent pas puisqu'elles durent et s'installent, sur la pointe des pieds, un genou en équilibre sur la saillie d'une hanche, les mains accrochés au rebord d'une bibliothèque qui oscille, les dîners d'un sachet de M&M's récupéré à la hâte dans une station-service avant de rentrer et d'une bouteille de Pouilly dégottée dans le placard que l'on pensait pourtant vide, en regardant le dernier film pas vu encore qui traînait encore sur l'étagère du vidéo-club, les parties d'échecs ou de cartes aux regards concentrés, aux menaces murmurées devant la sournoiserie du coup à venir, aux matins qui voient se poursuivre inlassablement les entrelacements et les enlacements nocturnes...

Ne dirait-on pas pourtant que je me souviens de tout cela? Non, je l'ai ré-écrit.

Parce que seules les situations saugrenues me restent, parce que je refuse d'avoir eu tort en rejetant certaines promesses que je n'étais pas prête à faire à mon tour. Parce que ce n'était pas le moment, parce que ce n'était pas le bon partenaire pour continuer quelques pas encore.

Et puis un jour, j'y ai cru vraiment, et les souvenirs qui se faisaient chaque jour semblaient tellement prendre matière que j'ai pensé pouvoir y bâtir un château. Oui j'y ai cru, cru que c'était cela, que c'était pour de bon et que rien, jamais, ne viendrait remettre en question cette certitude qui me réchauffait.

J'avais oublié, malgré un pragmatisme célébré notamment par des gens qui y voyaient là un travers à tout mode d'élévation spirituelle et intellectuelle, que l'on ne construit de maison ni, à plus forte raison, de château que sur des fondations qui se solidifieront avec le temps. Que l'éducation, les valeurs fondamentales, l'idée même de ce pour quoi nous vivons et agissons, les choses et les gens que nous respectons sont autant de barres de métal qui arment le béton sur la surface duquel s'élèveront les tourelles, les murailles... the cloud-capp'd tow'rs, the gorgeous palaces, the solemn temples ...

Nous sommes faits de l'étoffe dont sont faits les rêves, dit le même Barde. Mais que nous ne nous avisions pas de confondre nos rêves de possible avec l'humainement possible, car plus dure sera la chute.

En fait, il suffit d'un peu d'inconséquence, de légèreté, d'une boussole orientée toujours vers le jour qui point...

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