dimanche 26 octobre 2008

Rituels

L'après-midi concourt pour la majeure partie des Parisiens au rite hebdomadaire des courses. Certains s'embarqueront dans leur monospace ou dans leur berline pour une courageuse virée dans les hyper de proches banlieue où ils ne feront cesser les chouinements inhérents aux longues attentes en caisse qu'en remplissant leurs caddies de paquets de chewing gum ou de bonbons habilement placés en tête de gondole, à portée de bras enfantins.

Leur expédition aura tout de celle de Néanderthal en quête de mammouth, elle les mènera au bord de l'épuisement, de l'agacement et, les jours fastes, ils éviteront de justesse de délivrer la torgnole défoulante dans le bouchon du périphérique sud.

Les moins courageux se contenteront des supérettes bien fournies mais aussi très achalandées en ces samedis aux séquences de course contre la montre, de contre contre le vide consumériste des fermetures dominicales (ouf, heureusement qu'il reste Leroy Merlin ou Ikea).

L'observation des tapis roulant de caisse ouvre des fenêtres incroyables sur la vie quotidienne de nos voisins.

Ceux qui ont fait le choix de prendre leur temps pour vivre, de suivre la tradition ancestrale qui fait tourner la vie familiale autour des repas pris en commun y entassent les pots de confiture, boîtes de céréales, packs de lait et bouteilles de jus de fruit frais, les légumes à peler, les paquets de Panzani et d'Uncle Ben's. Les dames auront le visage frais et à peine maquillé et le regard fier de l'intendante qui prend soin de ses ouailles.

Des étudiants attardés ou de jeunes actifs pas très concernés y empileront les boîtes depizza surgelée moins onéreuses que les commandes chez Pizza Hut pour des bouffes entrecopains qui se conjuguent en dizaines, bouteilles de vin pas forcément choisi avec discernement mais qu'importe le flacon..., paquets de chips mexicaines pour un simulacre d'apéro, bouteilles encore, alcools forts pour la frime, cocktails déjà mélangés aux teintes acidulées dans le cas où des filles seraient prévues... Ceux là semblent ne jamais acheter de papier toilette lorsqu'on y songe, ils doivent passer leur vie à sonner chez le voisin... Ils n'achètent pas plus de liquide vaiselle ou de produit ménager, d'ailleurs.

Il y a aussi le couple bio qui complète son marché du matin dans le XIVe arrondissement, qui se demande si l'épeautre de chez Bjorg vaut celle de chez AB... qui a remplacé depuis longtemps les packs de lait UHT pasteurisé par des briques de lait de soja, qui lit les étiquettes jusqu'à la dernière ligne, la plus intéressante puisque celle qui contient les E523, polyvinylpyrrolidone E1201 et 1202 ou autre cire de polyéthylène oxydée 914...

Il y a les triomphantes mamans hyperbookées qui occupent la largeur des rangées avec leur poussette à trois roues et leur caddie high tech et qui s'indignent qu'on demande poliment le passage alors qu'elles sont en ligne en train de demander à leur pédiatre si le lait guigoz 2e âge ne risque pas d'empâter trop les joues déjà rubicondes de leur cher trésor...

Il y a les semi-margninaux qui achètent leur bouteille de Ricard ou de porto et jettent au dernier moment sur le tapis un paquet de chewing-gum Hollywood pour ne pas donner l'impression de n'être sortis que pour acheter leur drogue liquide.

Il y a ceux enfin, qui en profitent pour stocker les bouteilles, packs, paquets trop lourds pour être rapportés en soirée, après une longue journée de travail et qui bénissent le système désormais incontournable des livraisons à domicile, parce que là, oui, le samedi, ils seront là pour réceptionner, entre deux séries de mails à renvoyer, de livres à finir, de films à programmer pour le dimanche après-midi pluvieux, de dîners festifs ou de soirées en tenues de guerre.

On sort de ces instants allégés d'un nombre d'euros certes plus élevés que prévu, mais on ne gémira pas devant l'absence de lait dans le frigo pour un réconfortant cafélatte les jours moroses, devant la vacuité de l'étagère où trônent les filtres à café, acusatrice.

Il faudra tout ranger oui, avant de sortir, mais le coup de dix-huit heures qui sonne après tout ce tourbillon rend las tout à coup, on irait bien se coucher, on prendrait bien un bain, hélas, le rituel ultime du samedi est qu'il faut sortir, pour ne pas se montrer asocial, pour ne pas passer pour un loser... Et puis après tout, qu'importe, depuis qu'un chanteur à la voix crispante a célébré les joies du séchage de dîner en ville, rester chez soi deviendrait fashion...

Alors, sortirai-je ce soir ou non?

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