dimanche 26 octobre 2008

Cité


L'île de la Cité n'appartient ni à la rive Gauche ni à la Rive Droite. Elle s'élève en fléau de balance entre deux bras de fleuve. Siège des trois règnes millénaires, le glaive de l'ordre, la robe de l'âme, la balance de la justice. Elle héberge aussi le caducée des descendants des premiers hospitaliers et le souvenir des rois que maudirent les Templiers ardents de foi dans les flammes vengeresses. Ses rues et boulevards sont le poumon de Paris, distribuant l'équilibre des mouvements entre Nord et Sud. Route des pèlerins par Saint Jacques qui, de sa tour à l'église du Haut Pas, a déjà l'oeil sur les Pyrénées et, plus loin, la Galice. Route des marchands qui, d'octrois en quartiers reliait les villages du Faubourg Saint Denis au hameau du Port Royal, où flotte plus sûrement que des nefs le souvenir d'une abbaye rendue célèbre. De la pointe du Vert Galant à la poupe du pont Saint Louis, l'île se dresse face au roulement de la Seine comme Sainte Geneviève se dressa face aux envahisseurs.

Ile des rois, rien ne la prédestinait, du reste, à autre chose qu'à l'exercice du pouvoir. De la flèche de la Sainte Chapelle aux tours de Notre Dame, l'ensemble des lignes tracées à la verticale comme à l'horizontale confère de la solennité et de l'ardeur aux lieux. Les coups de sabre du baron Haussmann, les pierres lourdes et massives qu'il fit sceller, contribuent aujourd'hui encore à unir l'âme séculaire et la modernité d'un lieu donnant la sensation, en passant simplement le pont, d'embarquer sur une nef pétrifiée débordant de clercs et de sergents de ville.

Drapeaux et cloches défient quotidiennement le vent, poussent parfois jusqu'à lui tenir tête en claquements et tintinnabulements. Les oiseaux du marché éponyme, temporairement muets, ont repris leur chant incongru en ces lieux hiératiques. A l'ombre des auvents de tôle verte, poussent orchidées précieuses et solides oliviers, curieuse flore là où poussent plus volontiers les feuilles de marronnier et de chêne.

Les façades élégantes de la place Dauphine offrent un peu de grâce légère et de paix aux promeneurs, accordant un aller simple pour un autre voyage temporel pour peu que l'on prenne la peine de tourner le dos à la façade lourde et solennelle du Palais de Justice et de sa salles des pas perdus aux dimensions de cathédrale et aux échos de hall de gare. Les grappes d'avocats s'y croisent et entrecroisent au rythme des audiences et des auditions, vol noir de corbeaux ou de pies, caquetant. On les croise parfois, au début de leur carrière, débarquant hâtivement d'un bus et traversant en courant dignement, si tant faire se peut, le boulevard du Palais en fouillant fébrilement dans une serviette dont s'échappe le pan d'une robe de jais.

Lorsque midi sonne au palais, ce sont les uniformes que l'on voit s'agiter en quittant leurs factions et se mêler aux touristes. Le renflement du holster parfois mal dissimulé par leur veste, ils regardent d'un oeil amusé les touristes qui les entourent de sonorités exotiques. Les Parisiens d'une journée regardent, et tentent parfois de discrètement photographier, les policiers harnachés de leurs tenues antimanifestation renforcée, gilet pare balles apparent, bottes protectrices, tonfa à la ceinture, chevaliers non du Temple ou de Malte mais d'un autre ordre, public celui-ci. Attirés hors de leurs guérites par des regards perdus et des plans de Paris qui se tendent, les plantons du Boulevard du Palais sont passés maîtres dans l'art d'expliquer le moindre itinéraire sans pourtant maîtriser parfaitement aucune langue étrangère. Leur fourragère rouge semble éveiller la confiance des visiteurs qui doivent sans doute les prendre pour une sorte de police touristique.

Sur la place Louis Lépine, les flashes crépitent, immortalisant des familles ou des silhouettes sur fond de portail ouvragé au linteau redoré qui luit sous le soleil ou transperce les rideaux de pluie. Sept heures sonnent à Notre-Dame, dans les salles à croisées d'ogives du Palais de justice, traiteurs et agents de sécurité s'affairent pour une énième soirée privée. Le kiosque au droit de l'entrée professionnelle du Palais a replié ses ailes de métal et rangé ses posters de Doisneau et ses aimants en plaques de rue bleues et vert anglais. Sur le trottoir qui mène au Pont au Change, le vent fait voleter un tract froissé et piétiné. Les passagers en attente se raréfient aux arrêts de bus. La Cité s'endort, ne gardant deci-delà qu'un oeil en forme de fenêtre ouverte, éclair de néon aux derniers étages du 36 quai des Orfèvres où les interrogatoires s'allongent, enseigne bleue et blanche des urgences médico-judiciaires de l'Hôtel Dieu, rai de lustre traversant les broderies d'une des tours de Notre Dame où se donne une veillée.


A l'ombre des platanes du Boulevard, les officiers de permanence guignent du coin de l'oeil, sans lassitude aucune, les écrans qui veillent sur Paris qui s'allume aux lueurs des foyers rejoints. La Cité entre en une léthargie factice dont elle sortira aux vapeurs des petits noirs pris au comptoir des Deux Palais, à l'heure où des écharpes de brumes enlacent encore les flèches gothiques en une ultime étreinte.






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