dimanche 26 octobre 2008

De l'esprit comme une commode: tiroir du bas


Qu’est-ce qui construit une identité séductrice ? Comment parvient-on à se situer dans la catégorie généralement enviée des femmes sûres de leur pouvoir de fascination sur les hommes, capables d’en jouer et ne s’en privant généralement pas, ou dans celle que la Régence anglaise qualifiait de wallflowers, négligées de service, à la présence indispensable dans les salons comme ternes repoussoirs des créatures convoitées, humbles marguerites confrontées à de somptueuses orchidées ? Quels sont les moments qui déterminent qu’une femme sera, ou ne sera jamais, une feulante panthère, une mante religieuse, une canette aux instincts protecteurs, une chouette aux yeux écarquillés par trop de nuits passées dans les livres, une anguille qu’on ne cernera jamais tout à fait, une fourmi discrète mais industrieuse ou encore une pintade qui ébouriffe ses plume mais n’alignera jamais deux mots cohérents ?

L’adolescence est, on s’en doute, l’instant clé où les taches, les plumes ou les écailles commencent à poindre. Mais pourquoi les unes au détriment des autres, pourquoi cette inégalité dans l’assurance qui n’est pas toujours d’ailleurs fondée sur cette autre inégalité qu’est la possession ou non de la beauté. Mais là encore, il convient de préciser… ou du moins de se tenir à un postulat, fût-il ou non recevable par tous, déterminant ce que comprend la notion même de beauté. Se réfère-t-on à une perception exclusivement plastique, y mêle-t-on des critères aggravants ou atténuants tels que le charisme, la réserve, la distinction, l’exubérance, l’allure ou la décontraction ? La légendaire beauté intérieure, à laquelle s’accrochent les filles ingrates et qui a pourtant tout d’une Arlésienne au moment de choisir un ou une partenaire, entre-t-elle en ligne de compte ?

Pour être sûr de soi nul besoin d’être beau… Se sentir beau suffit, et la preuve en est le nombre de gens qui promènent avec orgueil et coquetterie ce que les canons classiques relèguent au rang de défauts irréparables. Dans le fond ils ont raison de procéder ainsi, mais je ne laisse de me demander s’ils se sentent secrètement ou non ridicules, si leur démarche contient une part de provocation, ou s’ils sont tout simplement beaux à une échelle qui rejette l’éphéméréité (si Morand le dit, pourquoi pas moi) des modes sur papier glacé, sur châssis entoilés ou sur marbre poli. Après tout, du temps où la Venus de Willendorf ou celle de Lespugue consacraient une féminité fertile et débordante, les modèles éthérés qui hantent les magazines ne devaient pas remporter les suffrages ; on considérait, à l'époque d'Henri IV, que pour étranglée que la taille d'une dame fût dans son corsage, ses hanches devait offrir l'apparente rondeur d'une mappemonde et l'on ajoutait juste en dessous de la taille des boudins rembourrés entretenant l'illusion, une femme épilée était aussi, en certains temps, femme de peu aux moeurs légères, et trop de propreté faisait, quelques années auparavant, pressentir une fréquentation effrénée des étuves, alors lieu de rencontre où se pressaient filles et souteneurs … On peut ainsi enfiler des perles sur le fil de l’histoire des nuits durant.

Ce qui importe vraiment c’est que l’on s’accepte tel que l’on est, tâche bien difficile en ces périodes de tâtonnement que sont la sortie de l’enfance, l’adolescence flamboyante et l’entrée dans l’âge adulte. Il arrive même parfois que le tâtonnement dure jusqu’assez tard dans les années de trentaine.

Heureusement, l’adolescence réserve aussi du temps à autre chose, la connaissance, la lecture, la curiosité, la découverte… Adam et Eve ne découvrirent-ils pas la pudeur et la honte en mordant dans le fruit de l’arbre de la Connaissance ? Plutôt que de scruter son miroir, avec la certitude de n’y trouver que l’imparfaite version de nos aspirations profondes, n’était-il pas plus sage, ou plus prudent, en tout état de cause plus lâche, de se chercher une identité sensuelle et séductrice entre les feuillets de livres épars dévorés avidement tandis que d’autres préféraient dévorer des lèvres et effeuiller leurs moitiés du moment plutôt que de feuilleter des ouvrages ?

Alors non, décidément, je n’ai aucune réponse aux questions que je pose, en l’air, que je me pose, tout bas, et je n’ai aucun moyen de trouver, dans l’expérience des années qui s’allongent et prolongent l’ombre temporelle qui me suit, matière à réflexion sur le sujet.

Si l’adolescence est heure de choix, de détermination, de découverte empirique, d’hormones bouillonnantes, l’aiguille a dû marquer une pause assez longue dans mon cas.

Mes émois, s’il y en eût, ne me conduisirent pas à sortir d’une voie déjà bien encombrée par de multiples passions gourmandes en temps et en énergie, ils restèrent ce qui me ressemblait, enfantins au milieu d’un univers où l’on posait à l’adulte.

Et encore, j’ai l’ingénuité de penser que cette époque, pas si lointaine qu’on ne puisse en fermant les yeux la convoquer, était encore pleine de soudaines candeurs, pudeurs et réserves et que rien ne nous pressait réellement, perdus que nous étions – et je borne mon observation aux personnes qui m’entouraient à l’époque – dans les fumeuses analyses de la destinée de l’Homme ou de la pensée philosophique dont nous peinions souvent à agripper les subtilités, dans le décryptage long et douloureux de la langue des politiques, dans l’idée qu’un jour nous tiendrons les rênes et que tout serait différent, dans nos écorchures posées sur le papier, sur une portée, sur un Canson, déclamées sur scène ou chantées dans le secret d’une salle de classe abandonnée.

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