dimanche 26 octobre 2008

Trajet



Odeurs d'after-shave, de gel douche citronné ou chypré, de shampooings aux fruits rouges, vanillés, orange amère ou chocolat. Mines glabres, encore, que traversent parfois d'infâmes cicatrices juste à l'appoint d'un col blanc, pour l'heure. Fond de teint aux teintes agrumes sous le blafard révélateur des néons. Ongles nets ou déjà souillés par la barre de métal par trop de mains étreintes. Fragrances coûteuses ou effluves malsaines de corps mal lavés malgré l'horaire matinal.

Les regards se fuient, les iris s'agitent à l'ombre des cils baissés, les coups d'oeil sont dérobés, voyeurs ; curiosité humaine qui pousse à jeter un oeil par les fenêtres allumées, le soir.

Journaux dépliés et coudes à l'avenant. Lectures communes à l'insu de celui qui tient le 20 secondes, le
Politain, le Matinée Moins, le Pour Vous Paris ou autre feuille consommable en vitesse quelle que soit la durée du trajet.

Au moins avant cela, pouvait-on apprendre quelque chose sur les curiosités littéraires des voyageurs des trajets laboraux et laborieux pour certains. Le dernier Cornwell, maintenant remplacée par Vargas, aujourd'hui par les volumes bibliques de la trilogie Millénium, les livres à couverture "home made" dissimulant une romance à l'eau de rose, à coup sûr, ou un roman d'aventures sentimentales à la couverture explicite présentant pirate ou cheihk au torse dénudé. Des classiques parfois, souvent même, Zola, Balzac, rarement Proust, peu propice aux lectures en tranches de pain d'épices. Hugo en désuétude, peu lu hors des classes et rarement parcouru en vitesse par les lycéens tenus d'arriver avant la sonnerie de début des cours dans les lycées du quartier Latin. Des essais, parfois, sociologie beaucoup, philosophie à la mode, sentences post-modernes sur les nouvelles règles de la Polis et les abus de la Police. Une pépite parfois, un Magnus Mills, un Easton Ellis d'avant American Psycho, un Lodge ou un Auster qui rendent plus léger le trajet. Et toujours, immanquablement, le best-seller du moment, le Goncourt de l'année, le Renaudot parfois, si difficiles à caser dans un sac à main ou dans une sacoche de cuir.

Ecouteurs blancs des heureux détenteurs d'IPod ou de ceux qui les imitent en désassortissant le lecteur et les oreillettes. Depuis l'avènement de l'intra-auriculaire, plus de tssss tssss tssss au rythme des basses et batteries rock ou punk, plus de bom bom bom bom aux relents de Goa ou de Trance, plus d'éructations étouffées de rappeurs en mal de reconnaissance par l'ingrate société. Drôle, par ailleurs, comme on ne remarquait jamais ceux qui avaient Mozart, Schubert, Purcell ou Boccherini dans les oreilles.

Les têtes ne se sentent plus obligées d'osciller en rythme pour marquer l'isolement volontaire et rebelle. De 7 à 77 ans, tous arborent leurs fils en travers de la poitrine et ces petites excroissances sortant discrètement et silencieusement désormais des pavillons.

Les stations qui s'annoncent comme par magie, suavité d'une voix qui dénote lorsqu'on a face à soi le défilé sordide des souterrains sombres qu'illuminent quelques tubes et, à l'encre blanche tracées au pinceau, des cotes numériques... un kilomètrage?

1340 approche, le terminus du jour aussi.

Le tourbillon des images reçues se calme, se perd, s'oublie. Ce soir un autre prendra sa place. Ce soir, il y aura de nouveau un trajet à effectuer.

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