dimanche 26 octobre 2008

Lointain


Prise d'une envie de relire Miramar de Naguib Mahfouz, je reste sur ma faim, incapable de retrouver le petit volume qui m'a accompagnée dans bien des voyages intérieurs.

Je ne connais pas Alexandrie, mais elle fait partie de mes ville rêvées. Je me doute que l'image que j'en ai n'est que le fruit de mes lectures et que la réalité est toute autre, que les rues aux balcons de bois ne portent plus les parfums d'antan, que les persiennes closes sur les appartements au charme désuet où se mêlent orient et occident ont fait place à des équipements de climatisation high-tech ou sont tout simplement laissées à l'abandon, leur gloire
passée des jours dorés par la lumière maritime et la morsure du sel les laissant battre au vent.

Je ne connais de l'Egypte que les villes de terre et de sable, je ne connais de gouttes que celles du Nil sur mon front à l'avant d'une embarcation qui passe d'une rive à l'autre du fleuve éternel, je ne connais de cette époque, qui m'attire tellement plus que nos périodes trop modernes, que d'habiles reproductions architecturalement rénovées et adaptés au confort des touristes privilégiés. Mon Egypte est celle d'aujourd'hui vue avec la nostalgie d'un hier méconnu. Attitude colonialiste probablement et, de ce fait, condamnable par la vox publica, mais à quoi bon mentir et parler des conditions de vie, de la lutte contre la hausse du prix du pain, de la corruption rampante et de ceux qui, dans l'ombre, guettent pour arracher le pouvoir à ceux qui tiennent les rênes grâce aux militaires, alors que ce n'est pas le souvenir que j'en garde, l'image que j'en veux conserver?










Mon Egypte est celle du vent du désert qui fouette le visage alors même que l'on se croyait à l'abri d'une osasis de fraîcheur en train de siroter un karkadeh, à deux pas des géants de pierre du plateau de Gizeh.

Elle est celle de l'oeil qui se plisse dans l'or solaire d'une fin de journée sur l'île Elephantine, à la terrasse du Old Cataract, comme dans un roman d'Agatha Christie, dans un monde où l'on s'habille encore pour descendre dîner, même en famille.

Elle est celle qui emprunte, au son de sabots trottant, les routes serpentant entre les champs à la verdure indécente d'où s'envolent des aigrettes tandis que des enfants courent en riant.

Elle a le son du luth sous un auvent de toile et de la mélopée a capella d'un chamelier sur le chemin escarpé qui griffe les flancs du mont Moïse.

Elle est la création du monde aux premiers rayons du soleil frappant le kaléidoscope minéral de la chaîne du Sinaï.

Elle est le monde émergeant du lac sacré de Karnak et s'élevant en jambes gigantesques de colonnes bavardes de hiéroglyphes et de titanesques pylônes muets.

Elle est le silence recueilli et mystérieux de la salle hypostyle de Karnak pourtant traversée de hordes de visiteurs.

Elle est la chapelle secrète cachée au pied des murailles où Sekhmet, la belle et dangereuse, attend le visiteur aventureux dans une obscurité moite et brûlante.

Elle est le balancier du geste millénaire des pêcheurs frappant le miroir du fleuve de leurs perches dans un envol de grues et d'ibis, identiques à ces scènes peintes dans les tombeaux cachés dans les plis des montagnes de la rive des morts.

Elle est le ruban étincelant de l'eau au milieu des damiers de verts profonds ou tendres visibles uniquement du ciel, infime victoire de l'homme depuis des siècles sur les sables.

Elle est ma légèreté d'être à l'ombre des bougainvillées, dans la touffeur d'une gorgée de thé à la
menthe, l'oeil rivé sur les pierres qui autrefois faisaient claquer des sandales de jonc. Elle n'a rien de réel cette Egypte-là, elle est bien loin des statistiques de l'état du monde, d'El Azhar et de ses despotes, elle a en elle la trilogie des palais cairote, le quatuor de Durrell, l'un et le multiple des panthéons qui se succédèrent, d'Abydos à Edfou en passant par Louqsor.

Elle a le goût sucré d'une chanson sussurée par Farid El-Atrache, le long sanglot déchirant d'un air entonné par Oum Khalsoum, la beauté de statues des héros de Chahine. Elle n'est rien mais elle est mienne.

Elle est ma nostalgie personnelle, mon rêve d'ailleurs , ma promenade au fil de l'eau, ma minéralité séculaire, mes yeux qui se voilent en se plongeant dans ceux, sans vie, du colosse de Ramses terrassé dans son mausolée moderne de Saqqarah, la nuit qui se ferme sur moi comme les ailes de Nephtys.

A défaut de Miramar et de ses références historiques, peut-être relirai-je Impasse du Palais, tiens.

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