dimanche 26 octobre 2008

Orage


Le temps était là, suspendu entre l'écume et les nuages. Il y avait du turquoise dans le flot tourmenté charriant ses tourbillons de sable blanc. Les vagues mourant au rivage avaient ce goût trop salé qui brûle les lèvres. Le soleil ne luisait plus que pour lancer un avertissement et dans le gris métallique du ciel à l'aplomb du Cap enflait une menace. L'eau tiède encore semblait offrir un refuge plus sûr que le sable se soulevant en microscopiques tourbillons. La mer semblait frémir dans l'attente des gouttes bienfaisantes de fraîcheur et le sel et le sable se mêlaient sous la langue cherchant à chasser les craquelures que la chaleur avait formé. L'orage semblait encore loin. La chaleur était tombée comme une chape, imperturbablement, et le silence montait plus inquiétant encore que le grondement du tonnerre qui se faisait attendre.

Sortir? Courir au banc de pierre où les vêtements avaient été jetés dans l'impatience de goûter à la fraîcheur de l'eau? Se frotter d'une serviette où les grains d'un sable irascible avaient élu domicile? Choisir de passer sa chemise sur la peau encore humide plutôt?

Je me demandai quel effet aurait le vent sur les gouttes qui roulaient le long de l'arête de mon nez. J'appréhendais le souffle brûlant, j'appréhendais la brise glaciale. Mieux valait rester dans le cocon liquide à la tiédeur familière, balancée par un ressac rassurant, rechercher le silence de l'eau qui se ruait à l'assaut des tympans et ne laissait plus place qu'aux battements d'un coeur qui s'affolait à mesure que le ciel s'obscurcissait.

Un son traversa la nappe d'eau qui s'agitait. Un appel, impérieux. Un ordre, une prière. "Vite!"

Inutile de le répéter, l'urgence était comprise. S'arracher enfin aux bras des vagues et regagner la lourdeur terrienne en trébuchant dans les franges d'écume de plus en plus larges. Courir au banc de pierre enfin et ne prendre que le nécessaire pour combattre le vent. Jeter à la va-vite les effets de baignade, les vêtements encombrants et trop longs à remettre dans un sac déjà presque coincé sous la pince du bras.

Cesser de grelotter à l'abri du dos qui déjà se penchait pour partir. Le claquement du kick, le rugissement du moteur. Se serrer un peu plus pour ne plus trembler, voler sa chaleur à ce dos si proche et pourtant...

Etait-il impensable de profiter éhontément de l'orage qui grondait maintenant pour raccourcir la distance convenable des jours précédents. Poser son menton sur l'arc du cou tendu par la course contre les gouttes, les lèvres à si peu de distance de la peau, salée encore assurément et si veloutée, que cachait l'arrondi du lobe de l'oreille. Se dire qu'il suffirait d'un cahot sur le chemin pour...

Mais cet été-là, il n'y eut pas une goutte de pluie, il n'y eut pas le moindre coup de tonnerre, l'orage ne vint jamais.

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